#BlackLivesMatter, également dans la profession d’interprète en langue des signes ?

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traduit par Jc & Stephen Sanchez

Il n’est pas question de stratégies. Mais si c’est ce que l’on veut, ça peut le devenir. Le sujet, c’est ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Pas le virus biologique, l’autre virus : le racisme, et les manifestations contre ce virus.

Au lendemain de la pandémie de COVID-19, après le confinement, le changements importants qui ont affecté notre vie quotidienne (sociale et professionnelle), l’insécurité, l’impossibilité de voir nos proches, de voyager et de profiter des petits rien de la vie, nous sommes face à quelque chose d’encore plus grand. Nous sommes face à nous-mêmes. Nous sommes face à l’histoire. Nous sommes face à ce que nous pensions savoir, ce que nous savons, ce que nous souhaiterions ne pas avoir à savoir et ce que nous devrions savoir. Nous nous sommes toutes retrouvé.e.s, un jour ou l’autre, dans des situations où nous avons gardé le silence alors que nous assistions à des faits de discrimination, alors que des remarques racistes étaient proférées ou que des gens riaient à des « blagues » sexistes (et d’ailleurs, pourquoi appelle-t-on cela des blagues ?). Je ne veux pas parler d’expériences personnelles. C’est un chemin que chaque personne doit parcourir, à son rythme et lorsqu’elle estime que c’est le bon moment. Ce dont je veux parler, en revanche, c’est de l’absence de diversité au sein de notre profession : l’interprétation en langue des signes.

Lorsque l’on parle de l’interprétation en langue des signes, on pense spontanément à des notions telles que le multiculturalisme ou le multilinguisme. On a cependant tendance à en réduire la signification, dans nos discussions, notre formation académique et notre connaissance de manière générale, à un axe biculturel fait de culture entendante et culture sourde (et tout ce que cela implique), et au concepts bilingues/bimodaux des langues vocales et des langues signées.

Mais où sont les discussions à propos de la diversité, des connaissances multiculturelles ou des différences religieuses que l’on voit en société ? Et je ne parle pas uniquement de ces différences au sein des communautés sourdes. Qu’en est-il des entendant.e.s qui travaillent avec elleux ? Qu’en est- il de nos collègues? Je pense que c’est un sujet douloureux. Où sont nos collègues interprètes de couleur ? Où sont, dans nos pays occidentaux, les interprètes noir.e.s, les interprètes asiatiques, les interprètes de culture musulmane, les interprètes juif.v.e.s ? Si je prends ma région, la Flandre, en Belgique, la société est multiculturelle, mais la communauté d’interprètes en Langue des Signes Flamande (VGT) est féminine et blanche. Tout comme moi. Il n’y a pas de représentation des différentes communautés avec lesquelles nous travaillons. Comment espérer dès lors leur offrir des services suffisants en qualité ?

J’ai commencé à m’instruire moi-même. C’est quelque chose que chacun.e d’entre nous peut faire : apprendre, commencer à comprendre et faire mieux. En ce moment je suis en train de lire à propos d’interprètes en langue des signes américaine – anglais noir.e.s (Téléchargement gratuit) et je suis des discussions de sourd.e.s noir.e.s, de formateur.ice.s, de chercheur.se.s, de comédien.ne.s et d’interprètes en langue des signes noir.e.s sur Twitter et Instagram. J’essaie de comprendre les questions systémiques qu’elleux soulèvent, comme l’accessibilité à l’éducation, l’accessibilité à des programmes d’interprétation en langue des signes, l’ignorance de sujets multiculturels dans ces programmes éducatifs, l’accessibilité aux associations professionnelles, le manque de représentation dans ces organisations professionnelles, le racisme de certaines personnes qui recourent aux services d’un interprète, le racisme des collègues, le fait d’être catalogué et cantonné à des missions « pour les Noirs », de faire face aux a priori des formateur.ice.s, des collègues et des client.e.s. Et je me pose la question, comment puis-je faire mieux ? Comment pouvons nous faire mieux ?

Je crois que les formations d’interprétation en langue des signes doivent regarder de plus près la société dans laquelle les interprètes travaillent, les personnes avec lesquelles elleux travaillent et la diversité de cette société. Une diversité qui est absente des programmes de formation, au sein du personnel formateur ou des étudiant.e.s.

Je crois que nous devons prendre du recul par rapport à notre façon binaire de penser lorsqu’il s’agit de culture, et intégrer les discussions multiculturelles sous toutes leurs facettes dans nos profession.

Je crois que nous devons discuter de la représentation des usager.e.s des services à travers les interprètes et de ce que cela signifie si la grande majorité des interprètes sont des femmes blanc.he.s, tandis que les usager.e.s des services ne le sont pas.

Je crois que nous devons voir, reconnaître et accepter que nous avons longtemps ignoré le fait que les déséquilibres de pouvoirs dans notre profession ne se résument pas a une distinction sourd.e.s- entendant.e.s. Beaucoup de « voix » ne sont pas entendu.e.s.

Je crois que nous pouvons changer cela. Et peut-être qu’en fin de compte, il est bien question de stratégies.

Chacun.e de nous peut entamer une conversation :

En tant qu’interprète en langue des signes, on pourrait entamer une conversation sur l’absence de diversité dans notre profession, et en discuter avec des collègues et avec des usager.e.s de nos services.

En tant que membre d’une association professionnelle d’interprètes en langue des signes, on pourrait lutter en faveur d’une plus grande diversité parmi les membres du bureau.

En tant que formateur.ice.s d’interprètes en langue des signes, on pourrait commencer à recruter activement du personnel issu des minorités, à essayer de collaborer avec des formations d’interprètes en langues vocales qui ont affaire à des situations d’interprétations multiculturelles, on pourrait revoir le programme actuel et recruter activement des étudiant.e.s issu.e.s de groupes sociaux sous-représentés.

En tant que chercheur.se.s en interprétation en langue des signes, on pourrait rendre cette diversité plus visible dans nos recherches en nous intéressant de près à ces questions et en les intégrant au programme de recherche.

Au travail.

Des ressources anti-racistes à destination des personnes blanches.

Published by

Isabelle Heyerick

My area of expertise is signed language interpreting and my research is situated on the intersection of (applied) linguistics, intercultural studies and language ideologies. I hold a PhD in Linguistics, a MA in Linguistics and a MA in Interpreting. My PhD is a first exploration of which linguistic interpreting strategies Flemish Sign Language interpreters use and why. My postdoctoral research investigated how discourses and ideologies about deaf people and signed languages prevalent in both the majority society and in the Deaf communities influence the linguistic decisions signed language interpreters make in their actual practice. Currently I am an Assistant Professor in Applied Sign Linguistics at the Centre for Deaf Studies at Trinity College Dublin (Ireland). I am the secretary of the World Association of Sign Language Interpreters and the vice-president of Tenuto, an organisation offering continuous professional development for sign language interpreters.

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